L'Alger républicain ...
rideau
Alger republicain
En 1938, un nouveau journal naît à Alger : Alger républicain. Le fondateur en est Pascal Pia, un colosse au profil d'empereur romain et aux idées avancées. Il engage Albert Camus comme rédacteur-reporter.
L'entente entre les deux hommes est immédiate. Tous deux croient aux mêmes valeurs. Tous deux sont persuadés qu'un peuple ne peut éternellement en maintenir un autre en tutelle sur ses terres au nom d'une prétendue supériorité raciale. Tous deux pensent que les Arabes ont droit aux mêmes lois sociales et aux mêmes salaires que les Européens et qu'ils doivent pouvoir, comme eux, envoyer leurs enfants à l'école.
Ces vues anticonformistes font d'Alger républicain un journal scandaleux... Mais pas riche. Par mesure d'économie, Camus, lorsqu'il part en reportage, se refuse l'hôtel, malgré sa santé chancelante, et demande asile à des sympathisants.
Dans l'affaire Hodent, il démontre l'innocence d'un gérant de ferme accusé de vol par un riche colon ; dans l'affaire El-Okbi, il réussit à prouver l'innocence d'un Arabe accusé d'assassinat par les pouvoirs publics pour des motifs politiques. On a vite fait de considérer Camus comme un indésirable et on le lui fait bien sentir.
Albert Camus en Algérie
En 1939, il entreprend sa fameuse enquête en Kabylie. Dans une série d'articles, il évoque toutes les bonnes raisons que se donnent les colons pour maintenir les musulmans dans leur triste condition. Il s'élève contre le colonat, qui a déraciné l'Arabe de sa propre patrie. Il dénonce la misère, la famine, l'inculture, la détresse du peuple kabyle. Il prône sa dignité et s'insurge contre l'idée, si répandue, de l'infériorité de la main-d'oeuvre indigène.
Il n'y a pas que des chiffres dans les articles de Camus. Un profond sentiment d'humanité s'y manifeste. Camus ne se voile pas la face devant les spectacles atroces que lui inflige le régime colonial.
amus en Kabylie
Un article de Camus :
Dans la commune d'El-K.seur, sur 2 500 habitants kabyles, on compte 2000 indigents. Les ouvriers agricoles emportent avec eux, pour la nourriture de toute la journée : un quart de galette d'orge et un petit flacon d'huile. Les familles, aux racines et aux herbes, ajoutent les orties.
Par un petit matin, j'ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens le contenu des poubelles. A mes questions, un Kabyle a répondu : C'est tous les matins comme ça. Cette famine n'est pas une épidémie de peste ou de choléra. Derrière tout cela, il y a l'injustice et l'âpreté du colonat et de l'Administration.
Autour de Michelet, le salaire agricole moyen est de 5 francs, plus la nourriture, pour dix heures de travail. Le salaire communal est de 11 à 12 francs. Mais on retient directement sur cet argent, et sans prévenir les intéressés, l'arriéré des impôts. Ces retenues atteignent parfois la totalité du salaire. Il n'y a pas de mot assez dur pourqualifier pareille cruauté. Je suis forcé de dire ici que le régime du travail en Kabylie est un régime d'esclavage. Au fil des articles, l'enquête de Camus s'oriente peu à peu vers une conscience politique du problème. Or déjà, pour lui, la politique passe par la morale et par un dévoilement de la mauvaise foi.
Camus et l'injustice en Algerie
Autre article :
Quant à l'idée si répandue de l'infériorité de la main-d'œuvre indigène, c'est sur elle que je voudrais terminer. Car elle trouve sa raison dans le mépris général où le colon tient le malheureux peuple de ce pays. Et ce mépris, à mes yeux, juge ceux qui le professent. J'affirme qu'il est faux de dire que le rendement d'un ouvrier kabyle est insuffisant. Car s'il l'était, les contremaîtres qui le talonnent .se chargeraient de l'améliorer.
Il est vrai, en revanche, que l'on peut voir sur des chantiers vicinaux des ouvriers chancelants et incapables de lever une pioche. Mais c'est qu'ils n'ont pas mangé. Et l'on nous met en présence d'une logique abjecte qui veut qu'un homme soit sans forces parce qu'il n'a pas de quoi manger et qu'on le paie moins parce qu'il est sans forces.
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